Champ de Mars

We have scotch'd the snake, not kill'd it;
She'll close and be herself, whilst our poor malice
Remains in danger of her former tooth.

William SHAKESPEARE, ( Macbeth, III, 2 )

IMPRÉCATIONS tribales.
Comme vomies par les vipères d'un nœud grouillant.
Inaudible braillement de malédictions dont s'alimente le tumulte déferlant.
 
Intensification du mensonge.
Exaspération de la haine.
 
Faces étirées,
masques torses, reflets réfractés,
crispations de nerfs, jointures blanchies.
Sang.
Sueur.
Odeur de hyène. Hurlement de meute.
 
Feu qui court le long d'un fleuve barbare,
émergeant sporadiquement pour dévorer en un prurit transitoire
la bannière honnie, l'effigie de l'exécration,
le bouc maléfique chargé de toutes tares, de toutes perversions.
 
Aversion obsédante, aveuglante...
 
Toutes ruées convergent en un infect marécage
onduleux,
électrisé,
frissonnant,
enfiévré,
se nourrissant des opprobres rudimentaires
excrétés du nombril mouvant de cette horde informe
par la caricature invraisemblable d'un tyran ubuesque.
 
Images qui se déversent,
qui viennent avec outrecuidance nous investir par procuration.
 
Images qui se déposent en sédiments,
qui s'infiltrent,
qui infusent peu à peu leurs outrances abjectes
qui cultivent en retour nos propres excès.
 
Action!
 
Le métal grince dans ces rues désormais inutiles,
et des bourdons d'acier s'élancent dans ces villes à ciel ouvert,
tous ces oiseaux hurlants,
Harpyes,
Furies,
vautours pestilentiels,
toute cette vermine rampante...
Parade funèbre où s'exhibent des pantins standardisés
comme autant d'envoyés du suzerain ultime.
 
Tant de fleurs flamboyantes
semées par des Phaéton sans grâce,
tant de jardiniers dévorés par leurs fleurs,
tant de bruit,
tant de silence...
 
Toujours plus!
 
Du comble de l'horreur au fond de la misère,
tragédie effroyable, drame planétaire,
l'horreur est indicible, la catastrophe humanitaire.
Ainsi s'émousse l'hyperbole ...
 
Seuls surnagent, comme volés à travers une glace sans tain,
quelques regards furtifs,
quelques regards vides.
Juste quelques regards qui ne regardent rien. Plus rien.
Qui ne se lèvent même plus vers le ciel.
Des regards myopes qui s'habituent déjà à ne plus voir
que des faux-semblants...
 
Sur la laisse du jour d'avant,
voyez les gisants de la nuit glacée...
 
Prémices offerts à Mars par des ombres prochaines.
Prémices acceptées
par le dieu insatiable.
 
Qu'il soit honoré par cette cérémonie nouvelle,
Lui qui nous décharge si bien de nos misérables responsabilités.
 
Servants, frappez, frappez encore, les lourds tambours de bronze.
Officiants belliqueux sous vos capes de loup, célébrez, célébrez le mystère.
Que la symétrie de la répulsion équilibre ce monde !...
 
Brisez les miroirs aux reflets inutiles !
Jamais ces gens ne seront à notre image ! Qu'ils disparaissent !
Jamais ces gens n'auront notre entendement ! Qu'ils périssent !
 
Extermination et Sainte Guerre !
 
Malédictions croisées qui reviennent en écho
et se brisent en éclats tranchants sur les palissades de l'intolérance.
 
Corps ankylosés, hors d'étreinte,
Impulsions de rage rauque, frénésie de grisaille.
 
Détruire, depuis toujours réduire,
en cendres, au silence, à néant...
 
Tous hérétiques, tous infidèles, tous maudits.
Anathèmes qui se répercutent, se retournent, s'inversent,
sans fin, sans trêve.
Tous englués dans l'ignominie, en cette terre flétrie.
 
Servilement,
suivre les traces des combattants anciens,
sans cesse revivre la guerre primordiale,
souverain bien, mal radical,
acteurs d'une hiérophanie nouvelle,
dans l'insupportable spectacle du monde.
 
Choisir son camp, ou deva ou asura.
Comme toujours, choisir son rôle,
indifférence interdite, mort obligatoire,
que s'exorcisent les hantises les plus noires,
les angoisses les plus secrètes.
 
Ni pardon, ni aversion !
Rompre le charme.
N'accorder ni grâce ni coup de grâce.
 
Et cependant rêver,
rêver qu'une aube future trouve Mars rendant son dernier souffle
seul,
par tous abandonné,
dans la grise aridité de son champ.
 
Au bout de sept cents ans reverdit le laurier.
Pourrons-nous voir un jour le temps de l'olivier ?...

Denys EISSART

addenda > Autour de "Champ de Mars"...

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