La tentation d'Arcadie

Incipe Maenalios mecum, mea tibia, uersus...

VIRGILE ( Bucoliques )

ET in Arcadia ego... Dans le ciel régnait Cronos... Hésiode l'a appris. Hésiode l'a transmis. Nos Pères furent d'or... Nul souci en leur vie... Nos Pères jamais vieux, et toujours vigoureux... comme des dieux... comme des dieux... entraient alors dans la mort... comme on s'endort... Comme on s'endort !...
 
Avancée douce parmi les feuilles,
effleurement imperceptible de la mousse,
glissement reptilien entre les pommiers en fleurs...
 
Chercher son chemin dans le dédale. Suivre son labyrinthe personnel. Parvenir jusqu'au lourd omphalos, quelque part au centre de la forêt. En faire le tour, lentement, doucement. Avec un peu d'affectation, s'y asseoir pour attendre ... l'Aventure. (Ce nom arthurien, comme il convient bien à l'inconnu innommable !)
 
Au cœur de l'Arcadie, au cœur de l'Autre Monde.
Dans cet ailleurs de papier toilé où des ciels délavés se ressuient...
 
Sous le couvert d'un large hêtre...
Nouveau Tityre égaré dans un poème qui ne sera jamais le sien...
Damoiseau sans demoiselle. Palpitant de cette absence.
 
Cette halte sur le chemin, cette pause parfumée au faîte du voyage... Cette tentation persistante d'une liberté à conquérir, dans le cadre trompeur d'un florissant pays au printemps incessant...

Rien ne pourra jamais se substituer à la délicatesse de cette sensation d'être enfin parvenu, un peu par hasard, à ce point parfait, au maximum de la variable.
 
Désormais condamné à ne plus pouvoir qu'en revenir.
Mais y avoir abouti suffit généralement à remplir le retour d'une suave plénitude...
 
Célébration de l'instant.
Englué, appesanti, dans une gravitation différente.
Sensation fugitive d'être le figurant d'une séquence ralentie.
Sensation diffuse que c'est à l'intérieur de ce court instant dilaté que va s'accomplir toute sa destinée.

Sous le couvert d'un large hêtre...
Voilà !
Notre Arcadie se limite peut-être à une pierre moussue au cœur d'un sous–bois estival, mais, sur ce trône sans horizon, nous voilà maîtres du destin...
 
Profondeur élastique d'une mémoire de l'aube.
Rien d'autre avant elle. Tout et tant depuis.
Aube si diffuse, aube si lointaine, déjà emportée dans les ondulations courbes du flux.
 
Gratter la mousse pour y découvrir les cupules de l'ancienne hiéromancie.
 
Dénuder le granit pour y lire les glyphes qui attestent d'une farouche royauté sur un peuple oublié.
 
Creuser le sol pour y faire naître la source vierge, Castalie des temps futurs, qui parachèvera les préparatifs de l'intronisation nouvelle.
 
Et régner sur cette clairière le temps d'une agonie parfumée...

Mais le monde... ne t'oublie... Et les feulements, et les bruissements, et les frémissements sont là. Et les silences aussi...
Plus terribles encore emplis de leur certaine et imprévisible rupture.
 
Mais le monde... Pas plus que le miroir ne saurait oublier ton cri. Et ton image se répercute aux limites de ta sphère...
 
Mais le monde... Et la clairière se restreint.
Tends la main. Je suis là.
Déjà.
Je suis le monde. Tu me dois ta présence comme je te dois la mienne.
Sans amour et sans haine.
 
Ego, miroir aux alouettes... et l'autre.... Et voici un leurre de plus ! Ce un pluriel, peuple des marges. Tourbillonnant autour... comme un rapace en chasse. Pauvre palombe. Pauvre ombre solitaire. Pauvre reflet inverse de ta main qui se tend. Le bouclier du dédain en rempart apaisant.
 
Solitude arcadienne. Revendiquée. Tant espérée. Comme une retraite dorée. Havre où signer sa paix pour préparer les combats futurs.
 
Mais le monde... ne t'oublie.
 
La grande danse passe tout près, là, tout près de toi.
Viendra-t-elle te chercher ? Viendra-t-elle t'avaler ?
Dans ses anneaux ondoyants seras-tu enserré ?
La large main qui se tend ... la fine main qui se tend ... viendras-tu l'attraper ? Sauras-tu l'attraper ?...

Denys EISSART

addenda > Autour de "La tentation d'Arcadie"...

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