Autour de ...
La tentation d'Arcadie

Tableau

"Paysage avec des bergers et des moutons" (1621) par Pietro Paolo BONZI, (1576-1636), tableau exposé à la Pinacothèque Capitoline de Rome.
 
(source: Web Gallery of Art)

Épigraphe

Commence avec moi, ô ma flûte, les vers du Ménale...
 
Cette citation qui provient de la VIII ème églogue de Virgile (v.21) et est reprise plusieurs fois, comme en refrain, a tout pour nous introduire en Arcadie. Le Ménale, consacré à Pan, est un des massifs montagneux de cette région centrale du Péloponnèse où les nymphes se baignent dans les rivières et où les bergers font des vers délicats en s'accompagnant de leur flûte. Car, de toute évidence, l'Arcadie poétique s'est toujours tellement superposée à l'Arcadie réelle qu'elle a fini par la faire disparaître...

Autour du texte

L'Arcadie des Bucoliques virgiliennes que l'on retrouve avec Tityre sous le couvert d'un large hêtre (sub tegmine fagi...), l'Âge d'Or décrit par Hésiode dans "Les "Travaux et les jours", la référence initiale au tableau "Les bergers d'Arcadie" de Nicolas Poussin, une discrète évocation du jardin d'Éden ou même ces forêts "aventureuses" du cycle arthurien, tout cela se mêle sans complexe avec la chaude présence de quelques sous-bois bien réels dans lesquels j'ai "vécu" ce sentiment arcadien et été tenté par cet "autre côté du miroir".
 
Dans lesquels j'ai tranquillement et intérieurement connu cet instant magique où tout se concentre, où le fruit rend tout son suc, où la fleur ouvre sa corolle... Et le restant de la vie à chercher l'ombre de l'ombre, en s'en nourrissant. Même si, finalement, on attrape la large main de l'amitié ou la fine main de l'amour et que l'on participe à la farandole de la vie, on se dit comme l'Hypérion d'Hölderlin:
 
"J'avais fait un trop grand butin de beauté pour ne pas m'en servir à combler les lacunes de la vie humaine." (Hölderlin, Hypérion I,1)

D.E.

Texte complémentaire

Seuil et chemin

El somni de llibertat esdevé la cadena
que em lliga ja per sempre al meu cant dolorós.*

Salvador ESPRIU (Prometeu)

I

Sur le seuil du Temps, impassible, une oréade attend. Nous attend. Fatalement... Nymphe des collines, blonde sœur de Mélusine, que caches-tu ? que voile ta longue robe pâle ? quelque péché inavoué ? queue de serpent et pieds palmés ? Blanche dame des monts, quel périlleux secret gardes-tu sous le masque de cette étrangeté ?
 
Impassible, au juste milieu de cet infime cercle, figée, en marge, là où vie et mort s'anéantissent pour qu'enfin s'accomplisse toute fatalité, tu attends. Et au détour d'un rêve vénéneux, tu distilles en nos cœurs angoissés l'inespérance des lendemains passés.

II

Nulle part... La fille aux reflets verts, chancelle dans les brumes blêmes d'une aurore continuelle. Au confluent des déserts, une écume limpide, sous un ciel sans étoiles. Vide.
 
Forme arrondie qui courbe l'espace, s'allonge, s'éclaire et prend aspect humain. Et à la source de toute vie, l'éclatante estafilade déborde sur le ciel noir. Explosion fulgurante !
 
Le répons graduel des suppliques libère les rêves inaboutis, semblables aux clés que personne n'a pris le temps de forger... Rien à faire ! Seuls les rayons du matin pour fermer l'arche aux souvenirs anciens...

III

Elle encore.
 
À l'abri de sa transparence. Claire présence parmi l'humaine vulgarité de ces hommes qui oublient leur passé, qui n'ont plus envie de se rêver, de se bâtir un avenir. Désarmés. Sans même un bouclier. Qui ? Quoi ? leur redonnera leur fierté ? Toi ? Ton rire ? Ton rire qui s'évanouit dans le reflet inverse d'une fontaine moussue ?
 
Ce n'est pas la mort qui est absurde. Ce n'est pas même la vie. C'est notre vie et notre mort ici, et maintenant, comme des ignorants, sans rien savoir de nous-mêmes. Rien.

IV

L'herbe du sol disparaît sous nos pieds, pas sous nos corps. Est-ce déchoir ? Allons, je t'offre ma tendresse en rouleaux échevelés. Ton rire de mésange s'envole sans prudence.
 
(Pourvu que le septième ange ne sonne pas de la trompette !...)
 
Second baptême dans la double rosée du matin et de l'amour, juste au bord de mon âme, et surtout de la tienne.

V

C'est un nouveau Prométhée qui s'enchaîne au plus haut sommet du plus haut puy, attendant l'aigle qui viendra le déchirer.
 
Invention d'un matin à sa mesure. Matin de brumes qui noie plaines et collines et laisse déconcerté dans une éternité sans repères.
 
Tache inconséquente sur la toile vierge de cette création rationnelle. Ah ! marée hargneuse ! Aller chercher dans des pierres sculptées pour des dieux plus anciens la force de te combattre ! Devenir homme-oiseau à la recherche de l'œuf primordial pour le fracasser contre la falaise sacrée.
 
Offrande expiatoire.

VI

Sur le seuil du temps, tu m'attends, tu m'attends, m'attendras, tendrement, patiemment. Toujours et maintenant sont mots équivalents.
 
(Sur le seuil du temps, je t'attends, je t'attends, t'attendrai, tendrement, patiemment. Toujours et maintenant sont mots équivalents.)
 
Par amour, sauter à la gorge du monde. Impulsion, cri de rage impérieuse. Cerveau liquide qui dégouline en rougeoyantes cascades sur les parois de la caverne. Que l'index y trace des frises de taureaux, de bisons affrontés, de mammouths superposés... de couples enlacés...
 
Ah ! Des pieux pour percer cet abcès ! Des pieux à la mesure de sa gravité : flèches de cathédrale, aiguilles de granit...
 
Crier. Crier à tous les vents. Dans les six directions de l'espace. Dans les six langues de mon antique pays. Écartelé comme lui. Sur le seuil du vide...
 
Que mes paroles s'empierrent pour écraser de tout leur poids ces ennemis insaisissables !
Mais que mes paroles s'emmiellent pour toi !

VII

Essayer encore ? Mais tout ce temps perdu... Mais ces hommes au regard baissé vers le sol anonyme, vers le journal humide du matin... Mais ces femmes oublieuses... Ces enfants méprisants.... Où est le chemin ? À trop le chercher on le perd, on se perd. Et je te perds peut-être...
 
Et nous voilà, trop vieux, sur le seuil de l'arrogance et de l'insouciance.
Et nous voilà, si jeunes, sur le seuil des souvenirs et de l'oubli.
Toujours moins nombreux à crier ces murmures.
Toujours moins nombreux à prendre ce chemin...

Denys EISSART

*traduction de la citation:
 
"Le rêve de liberté devient la chaîne
qui m'attache à jamais à mon chant douloureux."

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