Autour de ...
Toutes voiles dehors

Tableau

"Venice, Looking East from the Guidecca: Sunrise" (1819) par Joseph Mallord William Turner (1775-1851), tableau exposé au British Museum de Londres.
 
(source: Web Gallery of Art)

Épigraphe

Traduction de Machado:
Tout passe et tout demeure / Mais notre affaire est de passer / De passer en traçant des chemins / Des chemins sur la mer.
 
Traduction d'Horace:
demain nous repartirons sur l'immense plaine de la mer.

Autour du texte

L'envie de voyager n'est jamais aussi forte que lorsqu'on en est empêché. Quelle qu'en soit la raison. C'est alors que le voyage par procuration, par l'écriture ou la lecture prend toute sa puissance.
 
Exutoire bienvenu ... mais insuffisant !

Texte complémentaire

D'autres voiles, un autre voyage...

L'embarquement de la Reine de Saba

(d'après un tableau de Claude Lorrain)

La grande reine avance un petit pied menu, un pied léger fait pour la danse.
Sur la nacelle qui oscille, en cadence, elle saute avec la grâce des princesses d'autrefois.
Toute la cour, toute sa suite, en beaux habits, en beaux atours, bien alignés lui font cortège.
La renommée de Salomon mérite bien confirmation.
Elle veut savoir.
Elle ne veut pas déchoir.
Sur ses bateaux, les serviteurs chargent malles et coffres, caisses et sacs.
Et tous les trésors du royaume.
Et les fabuleuses richesses des lointaines provinces tributaires.
L'or et les aromates, les bois précieux et les épices, les soies, les vins, les huiles parfumées, les fourrures, et les chameaux et les chevaux.
 
De bon matin, ainsi, toute la flotte de Saba déploie ses voiles de draps brodés, monte ses pavois au plus haut des plus hauts mâts d'ébène.
 
Pour tous ces courtisans qui s'empressent autour d'elle, la grande reine veut voir Salomon pour éprouver sa sagesse.
Pour lui proposer des énigmes comme le racontent toutes ces méchantes histoires qui courent des ruelles de Saba aux dunes du désert.
 
Balivernes et calembredaines !
Elle ne veut pas voir le roi !
Non !
Pas du tout !
Elle veut que le roi la voit, ce qui est tout différent.
Ce qui est bien plus excitant.
 
La reine est nubile.
La reine est fébrile.
Long sera le voyage, et plus ardent le désir.
Au soir du premier jour, quand la reine s'endort, la fièvre la consume.
 
On ne voit déjà plus les côtes de Saba.
On ne voit pas encore les côtes de Judée.
 
Sur sa couche de laine verte, une reine, une femme rêve...
À Jérusalem la déjà sainte, le grand roi Salomon, en son palais, congédie femmes et serviteurs.
Sur son lit de soie pourpre, un roi, un homme rêve.
 
On raconte, caprice des songes, que leurs rêves s'en vinrent à flotter bord à bord, à s'effleurer, à ...
On raconte tant de choses dans les ruelles de Saba, dans les ruelles de Salem...
Pourtant, tout un palais, tout un bateau, merveille des sortilèges, semblèrent bien, cette nuit-là, gémir à l'unisson.
 
Et quand le petit matin arriva, assis tout nu au bord de son lit froid, un pauvre homme qui se croyait un roi très puissant se demanda bien comment il se faisait que sa peau cuivrée était devenue si salée, que sa peau tannée s'était parsemée de petits suçons très musqués.
 
Et au petit matin, assise toute nue au bord du lit brûlant, une jeune jeune femme qui se savait une reine estimable, pleura très doucement car elle se demandait bien pourquoi elle s'obligeait à traverser toute cette onde pour finalement ne recueillir que quelques gouttes de rosée.
 
Alors, quand le soleil se leva vraiment, éclatant, la reine, la puissante reine, en grande tenue d'apparat, monta sur le pont à l'avant du maître-navire.
Sous les regards stupéfaits de toute la cour, de toute sa suite, elle donna fermement au commandant de la flotte l'ordre de faire demi-tour.
De rentrer au plus tôt à Saba.
Après cela, que racontent encore de nombreuses légendes, elle redescendit dans sa cabine et dormit sereinement tout le reste du jour jusqu'au retour en son royaume.

Denys EISSART

L'embarquement de la Reine de Saba

"L'embarquement de la Reine de Saba", de Claude Lorrain, date de 1648 et est exposé à la National Gallery de Londres.
 
Le Lorrain s'est inspiré pour ce tableau du chapitre 10 du premier livre des Rois ("La reine de Saba apprit la renommée de Salomon et vint éprouver celui-ci par des énigmes....").
 
La mer qui s'ouvre au regard, l'agitation des serviteurs, le palais, les ruines, la reine minuscule, tout un univers...
Et ce soleil levant (Salomon ?) vers lequel on va se diriger, qui éblouit déjà et que Claude a particulièrement travaillé puisqu'on a retrouvé ses empreintes digitales en de nombreux endroits du ciel où il a ainsi, pour ménager de plus délicates transitions, mis, au sens propre, la main à la pâte...
 
Michel Butor a écrit en 1988 un livre fascinant sur ce tableau. (Éditions de La Différence, collection "Tableaux vivants")
 
(Voir ce tableau en grand format sur le site Web Gallery of Art.)

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