détail de "La Mort et le lansquenet" (1510) d'Albrecht DÜRER, (1471-1528) exposé au British Museum de Londres
(source: Web Gallery of Art)
Était-ce une illusion ou un songe éveillé ? La musique a disparu: ai-je dormi ou non ? (tiré de l'Ode à un rossignol)
Dans cette Ode subtile, le chant du rossignol est requiem qui invite à la mort joyeuse ("...fade away into the forest dim / Fade far away, dissolve, and quite forget....")
et la tentation de l'abandon semble longtemps l'emporter avant le dur retour final à la solitude dans l'angoissant questionnement de ces vers qui terminent l'ode.
Un de ces trop rares moments où le rideau s'entrouvre sous l'effet d'un vent qu'on n'a pas senti.... Mais, d'Hamlet ou de Yorick lequel se trouve du bon côté de la tenture ?
Le texte tente de décrire un de ces instants fugaces où la réalité semble s'effacer, où l'on semble flotter entre deux états, sans trop savoir celui qui est le plus préférable.
Pour faire ressentir ce moment de "vide", l'Ange du Bizarre d'Edgar Allan Poe, la Melencolia d'Albrecht Dürer, les Héliades pleurant Phaéton au bord de l'Éridan,
Hamlet tenant le crâne de Yorick, Maât pesant le cœur d'un trépassé en jetant sa plume d'autruche, Alice chutant sans fin dans le terrier du lapin blanc et pour finir une danse macabre moyenâgeuse,
voilà certes une troupe fort bigarrée et quelque peu baroque, mais ne fallait-il pas au moins tout cela pour éprouver cette étrangeté ?...
D.E.
Détail de la danse macabre du XVème s. de l'abbaye de La Chaise-Dieu (Auvergne):
l'avocat, le ménestrel, le clerc.)
(photo:D.E.)
Une traduction personnelle du célèbre monologue, pour aller, pour une fois, un peu plus loin que la première ligne...
Hamlet. Acte III. Sc. I
Être ou ne pas être: voilà bien la question :
Endurer les traits et les coups d'une injurieuse fortune, est-ce avoir l'âme plus noble que de prendre les armes contre le flot des souffrances pour y mettre fin à jamais ?
Mourir : dormir; rien de plus ; et par ce sommeil dire que nous mettons un terme aux souffrances du cœur et aux mille tortures inhérentes à cette chair, voilà une issue
qui devrait être ardemment souhaitée.
Mourir, dormir; dormir, rêver peut-être : aïe ! là est tout le problème, car de penser à quels rêves peuvent nous venir dans ce sommeil de la mort, une fois débarrassés de cette enveloppe mortelle,
a de quoi nous retenir. Et c'est en raison de cette considération que le malheur se prolonge si longtemps.
Car qui voudrait endurer les piques et les injures du temps, l'arbitraire du tyran, le mépris de l'orgueilleux, les affronts de l'amour repoussé, la lenteur de la justice, l'arrogance des
gens en place, et les vexations que le mérite résigné doit subir des gens indignes, si, avec un simple poinçon, il pouvait lui-même s'en décharger ?
Qui voudrait porter tous ces fardeaux, suer et pester contre cette vie accablante si la crainte de quelque chose après la mort, cette contrée inexplorée dont nul voyageur n'a franchi
à nouveau la frontière, ne plongeait la volonté dans l'embarras, et ne nous faisait finalement choisir de porter les maux que nous connaissons que de voler vers d'autres dont nous ne savons rien.
Ainsi la raison nous rend tous lâches et les teintes vives de la déternination se décolorent sous la pâleur de la pensée. Les entreprises les plus énergiques, les plus considérables,
dévient de leur cours à cette seule idée et perdent jusqu'à leur nom d'action.
(W. S., Traduction et adaptation: D. E.)
Un autre "instant fragile"...
Pour seul linceul
Omnia tamquam mortales timetis
omnia tamquam immortales concupiscitis.*
SÉNÈQUE (De brevitate vitae)
I
Il désirait un territoire peuplé de rêves, sans logique mais sans fantaisie non plus, dans la solitude écervelée d'une
cour libertine. Il rêvait d'une vie d'immobilité choisie, pause entre enfer et paradis, d'une halte paisible, d'une
respiration musicale dans une expédition téméraire.
Il convoitait une cité euclidienne, désert dans un autre désert, pour enchaîner l'ombre et ses souvenirs dans la géomancie
complexe d'un plan ensorcelant.
Il prétendait à un corps pèlerin, vaisseau à la dérive, aimant déboussolé qui serpente avec entêtement dans la Mer
du Bonheur Perdu, sur l'exacte limite entre Bien et Mal.
Il n'avait pas voulu cela...
II
Homme de la Terre bleue, où est la stèle, où est le parchemin, délivrant mon triste rôle ? Femme de la blanche Lune
montrez-moi l'abîme, cerclé d'épines, où est cachée la clef. Je veux aller plus loin, plus tard, à la rencontre de ce
qui doit arriver.
L'étincelle pulsatile de notre cœur est fille du voyage. Peut-être que d'île en île, à l'aventure, nous trouverons enfin
le pays lumineux... Sinon, ce sera un bien triste retour au port qui nous vit naître. Rêver est pêché mortel, dirons-nous.
Et, lentement, tels des épouvantails dépenaillés, nous nous étendrons dans la froide inexistence des lourdes bêtes de somme.
*
Roi vainqueur, enfants vaincus, le pays se prosterne sous un ciel embrasé.
Sauvageonne à cloche-pied et homme fou de tourment, rires et pleurs, course échevelée, haine et attirance mêlées,
tout s'embrouille et s'amalgame.
Roi fallacieux, enfants trop vieux, la vie à la dérive, tout sombre avec la mort rebelle.
III
Ah ! Grand Monarque ! Que ton règne soit ! Nous sommes tous à l'agonie, exténués, accablés,
nos glorieuses cités mises à sac, désolées. C'est partout grand désordre, trouble et confusion.
Depuis ta capitale, édicte tes lois, toi dont le pays sans cesse psalmodie la vertu.
De toi naît Chevalerie...
La reconquête dans ton épée lumineuse.
La Grande Paix au bout de cette guerre.
La Grande Paix de la partance prochaine.
La Grande Guerre des valeureux.
Triste, sans joie, mais nécessaire.
Ah ! Grand Monarque ! Tant d'espoir, tant de craintes. Toujours payer d'un naufrage une obstination,
d'une capitulation un aveuglement.
Jamais quittes ! ....
IV
Adieu donc, vie somme toute plaisante, un jour va venir, nous y sommes peut-être... Pour seule assurance,
l'héritage réconfortant de six ou sept millénaires laborieux, d'une dizaine de pensées éblouissantes,
d'une poignée d'illuminations poétiques, de deux ou trois adagios inspirés
et peut-être d'une seule peinture clairvoyante.
Quand la vie se conjugue au conditionnel futur chacun est un barbarisme.
Trans-Vida Express ! Billets ! Billets !
Pour bagages : des souvenirs, quel encombrement !
La voie s'élève, tu t'éloignes, au sommet tu n'es pas loin de tout comprendre, et c'est alors la chute,
avec une peur terrible, c'est prévu, requis, nécessaire, mais c'est la chute...
inévitable,
longue,
effrayante,
solitaire,
froide,
rocheuse,
aiguë,
obscure...
Et te voilà dans la plaine ardente. Cours ! Cours vers la lumière ! Cours !
Le défilé... la passerelle... le ciel... le fleuve noir... le fleuve... le ciel... la passerelle...
...la passerelle vacillante...
qui te... pèse !...
V
(Tombeau)
Pesanteur
Insecte fasciné
A bras-le-corps
Baiser de mante
A
D
I
E
U
.
.
.
Denys EISSART
*traduction de la citation:
Vos terreurs incessantes sont celles d'un mortel,
vos désirs incessants ceux d'un immortel.
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