Jaillir en Floréal
A l'entrada del temps clar, eya,
Per jòia recomençar, eya,
E per jelós irritar, eya,
Vòl la regina mostrar
Qu'el' es si amorosa.
A la vi', a la via, jelós,
Laissatz nos, laissatz nos
Balar entre nos, entre nos.
( Ballade anonyme occitane XII ème s.)
CETTE clarté au fond... Cette chanson, cet air de danse... Préparatifs de fête, pour que la joie se renouvelle.
Eya ! Célébration de la vie, célébration du monde, allégresse du siècle dans un ruissellement de couleurs crues.
Le tambourin de ton cœur soutient l'air qui s'élance et qui te lance, dans ce temps, dans ton temps, à la jonction exacte du beau et du bien, du plein et du délié.
En douceur, en souplesse, entre et ouvre le bal.
Eya ! La Reine avrileuse réclame l'allégresse.
Passe et déploie tes ailes, affiche ta candeur, arbore ta fraîcheur, existe avec ferveur en cette époque offerte, à ta fantaisie, à ton œuvre, à ton emprise bienveillante.
Jaillis ! Et danse !
À cet endroit précis, au midi sonnant d'une époque ennuyeuse tu es ponctuel à ta rencontre avec la vie, terrestre, humaine, charnelle...
Tout un monde à pénétrer, à apprendre, à dénuder, à inventer, à posséder, à dominer sans le domestiquer.
Pour une danse, une seule danse. Pour une danse seulement. Mais une danse tout de même. Alors autant qu'elle soit gaie, vive et entraînante, étourdissante même...
Eya ! Laissez-nous..., laissez-nous..., entre nous..., entre nous... des grands monts jusqu'à la mer, danser, bouger, chanter...
Il n'est plus temps de raisonner, il n'est pas temps de méditer, qu'importent alors vanité et poursuite du vent ? S'il y a un temps pour les rires, s'il y a un temps pour la joie, tu y es.
Nous y sommes. Et nous y sommes bien. Ballottés éperdument. Entièrement asservis au rythme du cortège. C'est la bonne cadence, c'est le juste tempo, l'allure appropriée à l'envol impérieux.
Tout à apprendre, à réapprendre peut-être, impatiemment, fébrilement, par degrés mesurés, trop raisonnables, trop calibrés, prudents et sages, trop pondérés, pas assez... pas assez...
Un parcours, son parcours, unique et singulier, indispensable, inéluctable, chacun son pas, chacun sa danse, en une seule cavalcade, comme une maille du filet,
comme une vague dans la houle, feuille bruissant sur l'arbre ancien, comme une fleur en son jardin, cri assuré et assumé, dans la clameur du monde.
Quand tout s'offre prenons, quand tout s'ouvre entrons, en ces temps de passages, passons, traversons, les villes, les miroirs...
Les barrages sont perméables aux envies et aux danses. Glissons, avançons.
Peu importe le style, peu importe le rythme, tout bois fait flèche et se tend et s'élance... Au-delà. Par-delà...
Ainsi se gagne le terrain, ainsi s'occupe notre espace, ainsi peut-on se rendre maître de son insignifiance, exercer son empire et surmonter ses peurs.
Au-delà, toujours plus, toujours plus au-delà... Qui connaît les bornes ? Qui voudrait seulement les connaître ?
Rien ne compte que de jaillir.
Jaillir au monde.
Jaillir juste...
Comme répliques de Pluviôse toute la pluie qui tombe dilue l'amertume ancienne que tue toute l'eau du ciel.
Oh ! l'insipide élément...
D'autres pierres naissent sous tes caresses, des chemins de miroirs aussi, et les fleurs de Floréal, les douces fleurs de ce sang.
Éclats de lune, grains de nacre, pour souder la Terre et son Ciel, retenir le voile par mille et mille épingles.
Belle épousée de février, enfin l'on cueille ton bouquet, pour célébrer, pour honorer, cette légèreté nichée en ton humanité fragile.
C'est un chemin qui va, un vrai chemin qui s'aventure, un chemin d'autrefois, chemin de pieds mal ficelés, de sabots d'équidés, un de ces chemins qui savent aller
quelque part, qui accompagnent et qui conduisent.
En ce matin de Floréal, prends, voyageur, prends le large, suis les renoncules, couvre de boue tes souliers, frappe le sol du bâton, surveille l'horizon.
Au bout du bout de ce chemin mal équarri, au fond du fond de ce corridor écorché, vois l'épure de ta destinée s'ourler d'or dans la fraîcheur de l'aurore.
Ralentis, respire et mesure le solde.
Maintenant que tout s'éclaire, instruit du terme, enfin, tu peux nourrir des desseins à la hauteur de l'épilogue.
Ta responsabilité est grande, elle te dépasse même un peu, mais il faut bien jouer le rôle, il a été écrit pour toi, nul autre, oh non nul autre, ne pourrait endosser ce destin.
Aucun suppléant, pas même un assesseur...
Seul à naître, seul à vivre. Ainsi va l'existence...
Ni en avance, ni en retard, marche au pas, celui de ta musique.
Cette vibration...
(Le siècle a changé sans calmer sa violence.)
Cette pulsation...
(Son apaisement n'est qu'une autre séquence.)
Toute liberté se mesure à l'aune du chemin restant, du chemin ouvert aux mille vents, du chemin qui court droit devant, de cet espace entre peut-être et présent
qui paraît toujours plus vaste dans le miroir courbe du temps.
Et en cet âge sérieux où l'on sait voir les choses en grand, rien n'est dérisoire, ni considérable, tout est mouvante attente, ébauche de tourmente.
Ah ! la netteté des choses... La finesse du grain d'un monde pointilliste... Pour accueillir le cœur battant de la jeunesse, le paysage sait s'étirer sans être moins précis. Parfaite mise au point...
Chaque grain de pollen sait jouer au météore, se prendre pour une étoile, et leurs constellations s'éparpillent au ciel des années neuves ancrées dans la baie des certitudes.
Apprends à déchiffrer ce nouvel horoscope.
Apprends à lire ce si précis itinéraire.
Étudie bien la trajectoire...
Apprends à vibrer.
Apprends à danser.
Apprends à vivre.
Et vis !
Vis donc !...
Vis ! Sans chercher à survivre...
Danse, entre en la farandole, use ta vie de luciole, ne crains rien, nul roi ne troublera ta fête, même si tout insecte retombe au sol son grand rêve accompli pour l'heure danse,
danse et chante à tue tête le grand chant de Floréal, le grand hymne de Flore...
Dans la plus gaie des danses, à la fête d'Anna, belle Anna Perenna, ...insaisissable ... impénétrable ...
Aux tout premiers jours du printemps... Pour que Joy se renouvelle... Eya...
Denys EISSART
addenda > Autour de "Jaillir en Floréal"...
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