détail de "Jacob luttant avec l'ange" (1855) de Gustave Doré (1833-1883), Granger Collection, New York.
(source: C.G.F.A.)
La citation provient de "La Grèce antique: les plus beaux textes d'Homère à Origène" sous la direction de Jacqueline de Romilly (Bayard-Les Belles Lettres).
Texte personnel et thérapeutique...qui tente de relater – et peut-être d'exorciser – les débuts d'une douloureuse expérience
(celle d'une longue et cruelle maladie, selon l'hypocrite expression consacrée...).
La conscience de l'imminence de la sortie est, comme l'écrivait Pline le Jeune (ép. III, 7) à l'un de ses amis, "une raison de plus pour que ces instants fugitifs et périssables,
nous les prolongions, sinon par des actions d'éclat (l'occasion en est en d'autres mains), du moins par nos travaux littéraires et, puisqu'il ne nous est pas donné de vivre longtemps,
laissons des œuvres qui attestent que nous avons vécu." Ce texte (et ceux qui le précèdent bien sûr) s'inscrit parfaitement dans un tel projet.
Cette petite vanité devant être cependant fortement relativisée par le NF·F·NS·NC (Non fui, fui, non sum, non curo. Je n'existais pas, j'ai existé, je n'existe plus,
cela m'est indifférent.) des épicuriens latins que j'adopte par avance comme épitaphe virtuelle...
À chaque acte de la pièce me reviennent, fidèles, les mots de Shakespeare, ceux qu'il fait soliloquer par Jaques, dans la pièce "Comme il vous plaira"
(As you like it, Act II, Sc. VII). Le premier texte du grand Will appris par cœur dans les vertes années et qui m'aura accompagné un demi-siècle...
All the world's a stage,
And all the men and women merely players:
They have their exits and their entrances;
And one man in his time plays many parts,
His acts being seven ages...
Ce sont ces vers qui encore m'accompagnent à l'ouverture du dernier acte. Qu'ils véhiculent les poncifs les plus éculés n'a jamais entamé mon enthousiasme
à les déclamer. Peut-être tout simplement parce qu'ils ont la force de l'évidence...
En voici une traduction personnelle:
Le monde entier est un vaste théâtre. Et tous, hommes et femmes, n'y sont rien d'autre que des acteurs.
Ils entrent en scène, font leurs sorties, et, au cours de leur existence, y jouent plusieurs rôles, les sept actes de la pièce étant les âges mêmes de leur vie.
Voici tout d'abord le nouveau-né, criant et bavant dans les bras de sa nourrice.
Vient ensuite l'écolier pleurnichard, avec son cartable, sa figure toute propre du matin, partant pour l'école à contrecœur, à la vitesse de l'escargot.
Puis c'est l'amoureux, soupirant comme un soufflet de forge une ballade ténébreuse composée pour les sourcils de sa promise.
Au tour du soldat maintenant, plein d'étranges jurons à la bouche, la barbe fournie comme celle du fauve, pointilleux sur l'honneur, rude et prompt à la querelle, prêt à aller chercher l'éphémère
gloire jusque dans la gueule des canons.
Arrive alors le juge, avec sa bedaine rebondie, bien garnie d'un bon chapon, le regard sévère, la barbe bien taillée, riche en sages dictons et en banalités, c'est ainsi qu'il joue son rôle.
Le sixième âge le transforme en un maigre pantin à pantoufles, les lunettes sur le nez, la besace au côté, flottant dans des hauts de chausse bien conservés depuis sa jeunesse
mais maintenant trop larges pour ses jambes rabougries. Sa voix autrefois si forte et virile revient aux sons aigus de l'enfance et se change en sifflements.
La scène finale qui clot cette étrange histoire si riche en événements est une seconde enfance dans un oubli presque total, sans dents, sans yeux, sans goût, sans rien...
W. S. traduction et adaptation D. E.
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